Neuf mois ont passé depuis l’attaque de Balangoura, village tchadien isolé sur les rives du lac Tchad. Cette nuit-là, Boko Haram a encerclé les habitations, tiré dans le noir et semé le chaos. Pour Ahmat Moussa, pêcheur de 42 ans, tout a basculé. Il a fui avec une balle dans la jambe. Son fils, âgé de 16 ans, a été enlevé. Il ne l’a plus jamais revu.
Dans les jours qui suivent, les habitants fuient par centaines. Parmi eux, Baya Ali Moussa, dont le fils de 23 ans a été retrouvé mort, le corps dérivant entre deux jacinthes d’eau.
Depuis plus de quinze ans, le groupe jihadiste né au Nigeria continue d’imposer sa terreur dans la région du lac Tchad, qui s’étend aux frontières du Cameroun, du Niger et du Nigéria. Les militaires ont repris du terrain, mais les violences, elles, n’ont jamais cessé. Enlèvements, viols, assassinats : les attaques se répètent. Plus de 250 000 personnes ont été déplacées rien qu’au Tchad, selon l’ONU.
Comme près de 2 000 autres personnes, Ahmat et Baya ont trouvé refuge à Yakoua, à une vingtaine de kilomètres de Bol. Mais là aussi, l’abandon est palpable. « Il n’y a ni eau, ni nourriture. On vit grâce à l’entraide des voisins et à l’aide des humanitaires », explique Baya Ali Moussa, visiblement épuisée.
L’ONG Acted tente de répondre à l’urgence à travers le mécanisme de réponse rapide (RRM). En un an, 46 sites de déplacés ont été enregistrés dans la province. Mais l’élan humanitaire s’essouffle. « Les attaques continuent, les besoins augmentent, mais les financements chutent », alerte Togoum Atikang, chargé de projet chez Acted. « Là où on se retire, la population va souffrir. »
Les signes sont clairs : les bailleurs réduisent ou arrêtent leurs contributions. Les États-Unis, principaux financeurs du Programme alimentaire mondial (PAM), ont gelé une partie de leur soutien. L’Europe aussi diminue ses engagements. Résultat : le PAM a suspendu début juillet ses vols entre N’Djamena et Bol. Les humanitaires devront désormais prendre une route longue et dangereuse pour accéder aux populations.
Le HCR et d’autres agences ferment des bureaux. Pour François Batalingaya, coordinateur humanitaire des Nations Unies au Tchad, l’inquiétude monte : « Le gel des financements américains a déjà réduit l’assistance humanitaire de 7 %. Et nous n’avons aucune visibilité sur les prochains mois. »
Le plan de réponse humanitaire 2025 pour le Tchad n’est financé qu’à 11 %, sur 1,45 milliard de dollars nécessaires. L’an passé à la même période, ce taux atteignait déjà 34 %.
À cette crise persistante s’ajoute l’impact du conflit au Soudan, frontalier à l’est. Depuis avril 2023, plus d’un million de réfugiés soudanais ont afflué au Tchad, détournant l’attention et les ressources vers cette nouvelle urgence.
« Le lac Tchad est en train de disparaître du radar international », déplore François Batalingaya. « Mais si la communauté internationale détourne le regard, alors d’autres villages tomberont, d’autres familles fuiront, et davantage de jeunes finiront enrôlés dans ces groupes armés. »




