Un an après le début de l’exploitation pétrolière, le Sénégal confirme ses ambitions : faire de ses hydrocarbures un moteur de développement inclusif, à travers la transparence, la transformation locale et une gouvernance partagée. Le pays s’installe progressivement dans le cercle des producteurs africains tout en affichant une volonté affirmée de maîtriser son destin énergétique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Rien qu’en juin 2025, le champ offshore de Sangomar a permis l’exportation de 2,9 millions de barils de brut, portant à 9,63 millions le total du deuxième trimestre. L’objectif annuel reste fixé à plus de 30 millions de barils. Dans le domaine gazier, deux cargaisons de gaz naturel liquéfié ont déjà été expédiées depuis la plateforme du projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA), à raison de 330 000 m³ supplémentaires livrés en juin.
Cheikh Niane, secrétaire général au ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, rappelle que la production atteint actuellement environ 100 000 barils par jour. Il souligne aussi l’amorce des exportations de gaz naturel liquéfié, avec une ambition portée à 2,5 millions de tonnes par an.
Mais le défi ne réside pas uniquement dans la production. La véritable question est celle de la gouvernance. Pour M. Niane, les ressources appartiennent au peuple, comme le stipule l’article 25 de la Constitution. D’où la nécessité d’une implication active de la société civile, des collectivités et du secteur privé dans la gestion des ressources naturelles.
Dans cette dynamique, le gouvernement entend aussi assainir le secteur minier. Un audit a révélé que 491 titres sur 513 sont jugés non conformes. Des journées portes ouvertes sont prévues pour régulariser les situations.
D’après le rapport ITIE du premier semestre 2024, les revenus pétroliers et gaziers ont généré 45,79 milliards FCFA. Cette hausse est attribuée à des versements exceptionnels du groupe Woodside Energy. Toutefois, la redistribution des richesses reste un point de friction.
Thialy Faye, président du Comité national ITIE, met en garde contre les risques systémiques d’un modèle extractif sans gouvernance rigoureuse. Il déplore que l’essentiel de la production soit encore exporté sans valeur ajoutée locale : « En 2023, l’exportation représentait 1 110 milliards FCFA, mais seulement 346 milliards ont été injectés dans le budget national », regrette-t-il. Pour lui, une transformation structurelle est indispensable : production locale d’électricité, d’engrais ou de matériaux à partir des ressources disponibles.
Ce diagnostic est partagé par plusieurs acteurs de la société civile. Elimane Kane, président de LEGS Africa, estime que les efforts en matière de transparence contractuelle sont encore insuffisants. Il plaide pour une refonte des types de contrats signés avec les partenaires privés, afin de mieux aligner les intérêts économiques du pays sur ses priorités sociales.
Selon lui, une gouvernance inclusive passe par une meilleure implication des collectivités territoriales, souvent mises à l’écart des grandes décisions. « L’État doit ouvrir les discussions à toutes les parties prenantes. Cela renforcera la transparence et les capacités de négociation du Sénégal », affirme-t-il.
Sokhna Assiatou Diop, spécialiste des politiques publiques à IBP Sénégal, considère quant à elle que les recettes issues du secteur extractif pourraient peser jusqu’à 7 % du PIB d’ici 2030, à condition qu’elles soient investies intelligemment. Elle préconise une révision du code des investissements (toujours régi par une loi de 2004) afin de mieux stimuler la transformation locale et favoriser les entreprises industrielles créant de la valeur sur le territoire national.
Pour elle, l’heure est venue pour le Sénégal de tracer une voie originale : celle d’un développement ancré dans l’exploitation raisonnée de ses ressources, avec en ligne de mire la création d’emplois durables et l’émergence de champions industriels locaux.
Alors que le pétrole et le gaz s’ancrent dans le tissu économique sénégalais, l’enjeu fondamental dépasse les volumes extraits. C’est bien la qualité des choix politiques, des mécanismes de gouvernance et des arbitrages économiques qui déterminera si cette manne énergétique deviendra un levier de progrès pour tous, ou un simple mirage.




