L’Égypte traverse une crise silencieuse mais profonde dans son secteur de la santé : des milliers de médecins quittent chaque année le pays, en dépit des efforts législatifs récents pour encadrer et soutenir leur profession.
Selon le professeur Mohamed Abou El-Ghar, figure emblématique du corps médical égyptien, cette vague de départs n’est pas un phénomène conjoncturel, mais bien le symptôme d’un effondrement systémique du modèle de santé publique.
Dans un entretien accordé au podcast El-Hall Eih, animé par la politologue Rabab El Mahdi, il décrit une situation intenable pour les blouses blanches : précarité économique, environnement de travail dégradé et insécurité juridique croissante.
Adoptée fin mars 2025, une nouvelle loi encadrant la responsabilité médicale aurait dû offrir un cadre juridique protecteur pour les praticiens. Mais en réalité, beaucoup y voient une pression judiciaire supplémentaire. « Une épée de Damoclès au-dessus de chaque décision médicale », déplorent des voix syndicales.
Les hôpitaux publics sont sous-dotés, débordés et mal rémunérés. Un médecin débutant gagne en moyenne moins de 200 euros par mois, une somme dérisoire face à la charge de travail et aux responsabilités quotidiennes. Résultat : les médecins cumulent les postes ou choisissent de partir.
Les chiffres sont alarmants : plus de 110 000 médecins égyptiens exercent à l’étranger, alors que seuls 220 000 restent sur le territoire. L’exode touche toutes les spécialités et certaines zones rurales sont laissées sans couverture médicale minimale.
Les pays du Golfe attirent par des salaires multipliés par 10 ou 20, comme à Dubaï ou Doha et offrent une protection juridique solide. L’Europe, de son côté, facilite désormais la reconnaissance des diplômes égyptiens, face à ses propres pénuries.
Ce déséquilibre crée une pénurie dramatique, surtout dans la Haute-Égypte et les campagnes, où le nombre de médecins par habitant est jusqu’à 10 fois inférieur aux standards de l’OMS.
Face à cette fuite des cerveaux, les réponses du gouvernement restent trop timides : obligations de service public pour les jeunes diplômés, aides à l’installation dans les zones en tension… Des mesures jugées largement insuffisantes face à la gravité du problème.
Pour Abou El-Ghar, la solution est claire : “Sans une revalorisation sérieuse des carrières médicales et une réelle autonomie professionnelle, aucune loi ne retiendra nos médecins.”